Le fétichisme et la psychologie
L’inévitable évolution de la sexualité
Il n’existe pas d’étude psychologique sur les adeptes des couches en général, tout simplement parce qu’ils ne représentent pas un groupe étudiable en tant que tel. Il s’agit d’un ensemble varié de fétichismes et de pratiques, sexuelles ou non, qui sont parfois très éloignés les uns des autres. Chaque adepte des couches définira son attirance en piochant des éléments dans cet ensemble pour obtenir une combinaison qui lui est propre.
Une seule de ces combinaisons a fait l’objet d’études jusqu’à maintenant, il s’agit des adeptes des couches pratiquant la régression, mais les analystes se sont surtout intéressés aux origines et au comportement plutôt qu’aux accessoires utilisés. D’autres pratiques telles que le BDSM ou le fétichisme en général ont été également étudiées plus largement, mais sans aborder les couches ou en les citant sans donner plus de détails. Ce n’est pas vraiment étonnant dans le cadre du BDSM associant les couches par exemple, car elles ne constituent qu’un accessoire de la panoplie parmi d’autres. Les analystes se sont intéressés davantage à ce qui motive les individus à pratiquer le BDSM plutôt qu’aux accessoires.
Dans les cultures primitives, le fétichisme désigne l’adoration d’idoles ou d’objets fétiches censés être dotés d’un pouvoir. Au tournant des 19ème et 20ème siècles, le sens du terme s’oriente vers le domaine sexuel. Un fétichiste n’est plus l’adepte d’une religion, mais l’adepte d’une activité sexuelle déviant de la norme. Le terme apparaît pour la première fois en 1887.
A une époque où les sextoys se sont très fortement démocratisés, où les démonstrations des fétichismes les plus répandus comme le latex s’affichent ouvertement dans de nombreux films et clips musicaux, et où les pratiques telles que le BDSM ont désormais leurs salons officiels à Paris, les analyses de la sexologie humaine ont dû rapidement s’adapter à cette nouvelle ère.
Il existe plusieurs écoles au niveau de la psychanalyse et la psychiatrie, dont les points de vues et les idéologies sont parfois en total désaccord, mais globalement elles s’accordent à considérer tous les comportements humains d’ordre sexuel qui sortent de l’ordinaire comme des paraphilies. Ce terme qui est apparu au 20ème siècle est surtout utilisé dans les pays anglo-saxons, ailleurs on parle plutôt de sexualité atypique ou marginale, ou encore de perversion.
La perception de ces « perversions » évolue toutefois rapidement dans le temps en fonction des évolutions de la société et même des pays concernés. La masturbation ou l’homosexualité, aujourd’hui considérées comme des choses normales, étaient il y a seulement moins d’un siècle considérées comme des pathologies qui nécessitaient un traitement musclé impliquant le plus souvent des électrochocs pour en « guérir ».
Certaines paraphilies encore considérées comme telles aujourd’hui par les psychiatres, ne le seront sans doute plus dans un avenir proche car elles seront devenues trop répandues et ne rentreront donc plus dans le cadre d’une « sexualité atypique ». Cela n’empêchera pas évidemment certaines personnes de continuer à considérer les comportements correspondants comme anormaux ou déviants, mais c’est un autre problème. Le rôle d’un psychiatre ou d’un psychologue est avant tout d’essayer d’apporter une solution à un individu qui a ou estime avoir besoin d’aide. Ils ont donc mieux à faire que de s’intéresser à ce que font les gens qui vont bien et ce travail revient aux sociologues.
En essayant d’en savoir plus sur ce qui pousse des individus à être attirés par les couches, on trouve quelques analyses de psychiatres ou psychologues qui se basent sur l’étude d’un ou plusieurs cas d’individus qui ont consulté parce que quelque chose n’allait pas. Ces analyses sont donc focalisées sur les problèmes et particularités de ces individus et ne sont pas représentatives de l’ensemble des adeptes des couches. Les éléments de compréhension et les conclusions apportés par ces analyses sont intéressants, mais ils ne peuvent pas être considérés comme étant des réponses universelles valables pour tout le monde. Les conclusions dépendent de plus fortement du cursus et de l’expérience de l’analyste qui les a rédigées. Il convient donc de ne pas en tirer trop vite des généralités.
Le DSM et les paraphilies
Un groupe de psychiatres américains, regroupés dans l’Association Américaine de Psychiatrie (AAP), a établi au fil des années un manuel de référence qui tente de classifier les troubles mentaux. Ce manuel, dénommé Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM), est régulièrement mis à jour et, même s’il est remis en cause par des spécialistes pour plusieurs raisons, il sert toujours de référence dans le milieu. On y trouve notamment une liste des paraphilies recensées et qui sont toujours considérées comme telles.
La notion de fétichisme, qui consiste à être excité sexuellement à l’aide d’un objet, que ce soit en le regardant, en le manipulant ou en l’imaginant, vous est bien sûr familière. Le DSM range le fétichisme dans la catégorie des paraphilies à partir du moment où un individu utilise à des fins d’excitation sexuelle ou fait appel à des fantasmes impliquant une chose précise sur une durée supérieure à six mois, et que cette utilisation ou ces fantasmes causent un désarroi cliniquement observable ou une détérioration du fonctionnement social ou occupationnel. Autrement dit, que cette attirance pose un sérieux problème à cet individu dans sa vie quotidienne, en devenant trop envahissante ou même essentielle, ou bien qu’elle est dangereuse pour autrui.
Le DSM liste ainsi de nombreuses autres paraphilies qui sont toutes liées à la sexualité, à l’exception notable de l’autonépiophilie, le nom donné au comportement des adeptes des couches pratiquant la régression. Etant donné que la majorité d’entre eux réfutent précisément tout lien avec la sexualité pendant les jeux de régression, on peut se demander pourquoi les experts ont choisi de la classer parmi les paraphilies.
Le DSM établi par ailleurs une échelle de gravité dans la paraphilie. Elle est « légère » lorsque l’individu est perturbé par des impulsions sexuelles paraphiles répétées mais qu’il n’est jamais passé à l’acte, elle est « moyenne » lorsque le passage à l’acte est occasionnel sous l’emprise d’une impulsion sexuelle paraphile, et elle est « sévère » lorsque le passage à l’acte se fait de façon répétée.
Certaines paraphilies posent des problèmes évidents, la pédophilie met en danger les enfants, l’exhibitionnisme peut choquer les passants, l’asphyxiophilie met en danger ceux qui la pratiquent, et on peut comprendre que les individus concernés par ces paraphilies puissent nécessiter un suivi ou un traitement spécifique. Mais ranger dans la même catégorie d’autres comportements comme le triolisme (faire l’amour à trois), le fétichisme (être excité par quelque chose comme les seins), la klismaphilie (être excité par un lavement) ou même la narratophilie (être excité par les mots vulgaires) prête pour le moins à confusion. Ou bien le DSM n’a alors pas établi une classification des troubles mentaux comme il l’indique, mais une liste de comportements sexuels qui sont jugés comme déviants sur des bases totalement subjectives. On peut bien sûr trouver ces pratiques étranges ou inconvenantes, mais de là à considérer qu’il s’agit de « troubles psychosexuels » qui doivent être soignés, il y a un grand pas que beaucoup d’analystes semblent prêts à franchir sans problème.
Le DSM précise bien qu’un certain comportement est une paraphilie à partir du moment où il devient vraiment trop envahissant pour l’individu et pose des problèmes, mais les dénominations utilisées pour décrire les versions « paraphiliques » des comportements sont exactement les mêmes que l’on utilise dans le vocabulaire courant pour décrire ces comportements tout court. On n’utilise par exemple pas le mot alcoolisme pour dire qu’on aime bien boire du vin, mais pour désigner une consommation d’alcool excessive et récurrente. Le triolisme par exemple, est d’après le DSM une paraphilie caractérisée par l’obligation d’avoir des relations sexuelles à trois avec les conséquences néfastes que l’on imagine, mais c’est le même mot qui est utilisé pour définir une relation sexuelle impliquant trois personnes consentantes tout à fait heureuses de se livrer à cette activité. Donc comment faire la distinction entre la version « paraphilique » et la version « normale » ? Les dénominations utilisées pour décrire les paraphilies, donc des comportements excessifs obsessionnels qui peuvent nécessiter un traitement loin d’être anodin nous le verrons plus loin, sont les mêmes qui sont utilisées pour décrire les mêmes comportements réalisés sans excès ni obsession. Si l’on suit cette logique, le simple fait d’imaginer de temps en temps une femme portant un porte-jarretelles pour parvenir à l’orgasme est déjà en soit une paraphilie fétichiste légère. Si en plus vous demandez à votre femme d’en porter régulièrement pour faire l’amour, il est grand temps pour vous d’aller consulter.
Cela pose par exemple un évident problème de compréhension lors de discussions entre des gens comme vous et moi qui allons utiliser un mot qui a une certaine signification et un psychothérapeute qui y verra probablement immédiatement la signification « paraphilique » avec son lot de problèmes associés. Ca devient encore plus compliqué lorsque des expressions sont empruntées à tort au vocabulaire de la psychologie par des néophytes pour décrire quelque chose. L’exemple le plus courant est celui des adeptes des couches qui pratiquent la régression et qui utilisent volontiers les termes infantiliste (inventé) et infantilisme pour se décrire et décrire leurs activités, alors que pour un psychologue ces mots désignent un état mental d’inadaptation aggravé qui nécessite une réelle prise en charge souvent médicalisée.
Pour avoir une idée des méthodes utilisées pour soigner les gens souffrant de paraphilies, le DSM explique qu’il faut parvenir à éliminer le comportement inadéquat pour le remplacer par un comportement plus adapté par différentes techniques. La technique de l’aversion consiste à utiliser des stimuli chimiques tels que des vomitifs causant des nausées, des stimuli visuels utilisant une imagerie aversive et générant de la honte, ou encore des stimuli physiques tels que des électrochocs. C’est de votre faute aussi, on ne rigole pas avec le fétichisme des porte-jarretelles. La technique de l’évitement, plus douce, consiste à réapprendre une sexualité plus adaptée en apprenant à réassocier les fantasmes et l’orgasme à une sexualité « hétérosexuelle normale », ou en forçant la masturbation jusqu’à satiété. Intervient ensuite un travail en sexoanalyse où la thérapie amène l’individu à produire des fantasmes érotiques « classiques » et à surmonter graduellement les anxiétés qui sont à la base du « désordre » sexuel. On parle alors d’expérience correctrice modifiant l’imaginaire érotique. En gros, on réapprend aux individus à rentrer dans le moule d’une sexualité classique, dans laquelle ils ne seront peut-être pas du tout épanouis, mais qui sera beaucoup plus acceptable d’un point de vue psychiatrique et de la société.
Les expertises psychologiques et les supports utilisés pour les justifier tels que le DSM sont donc à prendre avec beaucoup de précautions et tout le recul qui s’impose.
Les origines du fétichisme
Pour en revenir au fétichisme, on imagine aisément qu’il existe certainement des fétichistes d’à peu près tout ce qui existe sur la planète. On a déjà recensé des fétichistes de presque toutes les parties du corps humain, des particularités physiques, des vêtements, sous-vêtements et accessoires spécifiques, des objets dans toute leur merveilleuse diversité, et des matières précises. L’attirance peut s’exercer sur les cinq sens : la vue, l’odorat, le toucher, l’ouïe et le goût.
Au niveau théorique, les psychiatres pensent que l’objet du fétichisme, le fétiche, est un objet transitionnel qui sert à calmer l’angoisse de la séparation et l’anxiété à la base de ce trouble qui remonte à l’enfance. Certains considèrent que le fétiche des fétichistes s’est installé en eux à un moment donné et qu’il est ensuite presque impossible de s’en défaire. Tous les fétichistes peuvent connaître des périodes d’éloignement par rapport à leur fétiche plus ou moins longues, mais il ne disparaît jamais totalement.
Certains psychologues pensent que l’apparition d’un fétichisme est une sorte de mécanisme d’autodéfense face à un traumatisme à un moment donné, et que le fétiche, qui varie selon les individus, leur personnalité, leurs souvenirs et les circonstances, a évité à ce moment-là un effondrement psychologique. Un peu comme une bouée de sauvetage à laquelle on s’accrocherait faute de mieux pendant une sorte de naufrage personnel. Cela semble se produire essentiellement pendant l’enfance, d’où la grande difficulté de nombreux fétichistes à expliquer l’origine de leur fétichisme. On peut évidemment devenir fétichiste sur le tard par affinité avec certains objets ou certaines matières, mais cela reste une démarche volontaire, alors qu’un fétichiste ne choisit pas son ou ses fétichismes et doit faire avec.
Il faut noter que les paraphilies concernent surtout les hommes, à l’exception notable du BDSM et de la régression par exemple, où les femmes sont bien représentées. Les psychologues estiment qu’une paraphilie se développe et se renforce dans le temps notamment par l’orgasme. Les hommes se masturbant plus que les femmes, ils seraient logiquement plus nombreux. L’explication parait un peu simpliste et n’est pas valable pour les paraphilies ne reposant pas sur une excitation sexuelle.
Un fétichisme se développe effectivement si on le cultive et il existe en réalité de très nombreux fétichistes qui n’ont qu’une petite pensée étrange excitante parfois pour quelque chose en particulier, mais qui n’y feront pas plus attention que ça. D’autres en revanche vont avoir envie d’aller plus loin, poussés par ces pensées, et vont commencer à se focaliser davantage sur leur attirance. Certains psychologues considèrent que chaque individu est un fétichiste qui s’ignore. Mais si l’on s’en tient strictement à la définition en psychologie qui implique une excitation sexuelle, les collectionneurs de timbres ne sont par exemple pas à proprement parler des fétichistes des timbres. Peut-être est-ce déjà plus discutable pour les femmes collectionnant les escarpins ou les sous-vêtements.
Certains fétichismes ont été largement médiatisés dans les films, les clips musicaux ou même les publicités à la télévision, d’autres sont encore totalement méconnus. Le fétichisme des couches commence seulement à se faire connaître, le plus souvent et comme tout nouveau fétichisme, dans la plus totale incompréhension de ceux qui le découvrent.
Il est tout à fait légitime de se demander ce que l’on peut bien trouver d’intéressant, d’attirant et, encore plus étonnant, d’excitant dans une couche ? Mais le fait pour un homme d’entrer en érection à la vue d’une femme portant des bas noirs serait sans doute tout autant incompréhensible pour un extraterrestre visitant notre planète. Toutes nos considérations sur tout ce qui nous entoure sont en réalité totalement subjectives et directement liées à notre éducation, à tout ce qui compose la société dans laquelle nous avons été éduqués et où nous avons grandi, à quoi s’ajoute dans une moindre mesure notre vécu personnel et notre personnalité, pour former un drôle de cocktail. Le simple fait d’avoir grandi sur un autre continent vous donnerait déjà une perception totalement différente de bon nombre de choses, y compris dans le domaine de la sexualité. L’approche de l’érotisme et de la sexualité au Japon par exemple, paraissent souvent étrange, incompréhensible et même parfois choquante aux yeux d’un occidental, au même titre que la gastronomie de ce pays d’ailleurs.